Toujours soucieux de connaître la réalité telle quelle est, Hugo Benfante est sorti de son presbytère dans les années 60 pour vivre avec le monde ordinaire afin d'en partager les combats quotidiens.
M. Benfante n'a pas fait les choses à moitié. Habiter en logement dans le quartier populaire Pointe Saint-Charles n'était pas suffisant pour lui qui voulait être en contact direct avec la population. « Je me suis rendu compte que ce serait important d'en faire plus, d'aller partager la vie des gens, pas simplement dans leur logement, mais en allant travailler. Je suis donc parti travailler en usine », raconte l'homme qui habite maintenant le quartier Villeray depuis 15 ans.
Le pionnier
Ainsi, Ugo Benfante est devenu le premier prêtre du Québec à avoir une permission accordée par le cardinal afin d'aller travailler en usine. En France, où la communauté religieuse de M. Benfante Les Fils de la Charité a été fondée, le prêtre-ouvrier était une tradition mais ici, cela ne s'était jamais vu.
« Au début, je ne disais pas qui j'étais, pour ne pas que les travailleurs croient que j'étais là pour les convertir. Sauf qu'à un moment donné, je ne voulais pas cacher mon identité alors j'ai dit qui j'étais. Je me suis fait regarder avec des gros yeux ! Finalement, j'étais comme tous les autres travailleurs », se rappelle-t-il.
Ugo Benfante a donc travaillé dans différentes usines pour ensuite connaître le chômage. Il a mené nombre de batailles pour les droits des travailleurs dont plusieurs lorsqu'il était président du syndicat de l'usine de matelas Simmons où il a travaillé pendant dix ans. « J'ai appris plus en usine qu'en théologie », constate M. Benfante.
Une personne engagée
Ainsi, le prêtre n'a jamais été le curé attitré d'une paroisse préférant toujours travailler directement avec les ouvriers, mais il a toujours dit et il dit encore des messes à l'occasion. D'ailleurs, sa manière de prêcher est grandement influencée par son expérience de vie.
Engagé activement dans sa communauté depuis plus de quarante ans, le nouveau retraité en conclue qu'il a vécu ses plus belles années à Pointe Saint-Charles, où il a habité pendant presque vingt ans. « Pointe Saint-Charles a marqué ma vie. C'était le début du développement communautaire. J'y ai connu le travail en usine, j'ai été impliqué dans les problèmes de logement, j'ai connu le début de la fameuse Clinique communautaire de Pointe Saint-Charles qui est devenue le point de départ de tous les CLSC du Québec. À cette époque, c'était neuf, il y avait quelque chose d'important qui se passait. C'était le pouvoir au citoyen », remarque M. Benfante. Cet immigrant né en Belgique d'une mère belge et d'un père italien est arrivé au Canada après la Deuxième Guerre mondiale alors qu'il était âgé de 11 ans. « La guerre m'a appris à vivre avec pas grand chose, j'ai été rationné, on m'a enseigné à ne pas gaspiller, à adopter une façon de vivre hors consommation, à aller à l'essentiel », croit le prêtre. Celui qui a vécu toute sa vie dans le dévouement envers les laissés pour compte affirme n'avoir eu aucun moment de doute, aucun regret ni même de moments difficiles. « Si je n'ai jamais eu de ces moments là, je pense que c'est parce que j'ai toujours été impliqué avec le monde. J'appartiens à une communauté religieuse très impliquée mondialement dans les choses concrètes. Cela a toujours nourri ma vie. J'ai toujours voulu être prêtre, mais je ne voulais pas être prêtre n'importe comment. Je voulais être prêt du monde, des plus dépourvus », insiste Ugo Benfante.
Pour ce qui est d'avoir des enfants, il est bien évident que le prêtre avait accepté dès le départ que cette réalité ne s'adresserait pas à lui. « Ma vie affective, je l'ai beaucoup développée à l'usine. Je me suis fait des amis importants avec lesquels je suis toujours très proche. Je les vois régulièrement. Ces liens affectifs ont fait que le choix de ne pas bâtir une famille n'a pas été un poids pour moi », affirme M. Benfante.
À l'aube de la retraite
Maintenant retraité, l'homme engagé ne peut s'arrêter complètement, mais il prend moins de responsabilités. « Même si je vieillis, j'ai 69 ans, je reste toujours impliqué. Tant que j'aurai la santé, je vais continuer à être présent », précise-t-il. Ainsi, le prêtre est toujours membre du conseil d'administration du Bureau de ressources des assistés sociaux (BRAS) de Villeray, un organisme qui, selon M. Benfante, « a beaucoup de difficultés à survivre, car les subventions du gouvernement en ce qui a trait aux organismes de défense de droits ne sont pas des plus généreuses ».
Ugo Benfante est également de l'équipe du Comptoir alimentaire Villeray tous les vendredis après-midis. Ces moments lui permettent de garder les pieds sur terre et le cur proche des gens. « Lorsqu'on parle de l'appauvrissement, je ne suis pas certain qu'on sait vraiment ce que ça signifie dans la réalité. Le problème de la pauvreté, on ne veut pas le voir. Quand on pense à la pauvreté, on pense souvent à la pauvreté des familles. Mais je dirais que la pauvreté aujourd'hui, elle est plus difficile à vivre pour des gens seuls. Et c'est la majorité; des hommes et des femmes seuls qui se sont pas à la retraite. », constate M. Benfante. De toutes ces années d'implication auprès de la population, le prêtre est fier d'avoir aidé des gens à se prendre en main. « Chez Simmons, j'ai tout fait pour que le syndicat ne soit pas seulement qu'une structure, mais qu'il appartienne au monde. Pour ce qui est du Comptoir alimentaire de Villeray, j'ai travaillé beaucoup pour empêcher que le dépannage alimentaire laisse la population dépendante. On a développé un petit magasin où on peut acheter des produits à prix réduits. Quand je vois que des gens, parmi les plus petits, se prennent en main, ça me stimule, ça me fait vivre ».
Malgré tous ses efforts, M. Benfante ne voit pas l'avenir tout en rose. « Lorsque j'étais à Pointe Saint-Charles, c'était plus facile de mobiliser les gens qu'aujourd'hui. Ça me préoccupe un peu. Je trouve que la pauvreté est loin d'avoir reculée. La pauvreté isole les gens. D'ailleurs, on ne parle plus des pauvres, on parle des exclus; c'est grave ça ! Ça veut dire que les gens deviennent hors-société à cause de la pauvreté », se désole le prêtre.
« Ça me fait terriblement mal de voir ça et je ne vois pas de lueur d'espoir. Les gens sont désespérés, ils ne croient plus qu'ils peuvent s'en sortir en raison du contexte. Il y a beaucoup de démobilisation. Il y a une rupture dans notre société entre les riches et les pauvres. Même notre classe moyenne est divisée en deux. Il y a ceux qui ont dégringolé pour rejoindre les plus pauvres et ceux qui arrivent à s'enrichir », constate Ugo Benfante.
Finalement, le prêtre souhaite que les organismes communautaires continuent à travailler ensemble pour arriver à bâtir quelque chose. Le Conseil communautaire Solidarités Villeray permet d'entretenir ce souhait. « Ce n'est pas seulement qu'une question de survivance, c'est une question de développement pour avoir une vue commune sur le quartier », considère le prêtre. Le conseil, qui loge au 660 Villeray, où une salle a été nommée en l'honneur de M. Benfante, a été mis en place en grande partie par le prêtre et regroupe une quinzaine d'organismes communautaires du quartier dans le but de coordonner les efforts déployés et pour arriver à de meilleurs résultats globaux pour la population.
Martine Letarte - 22 juin 2004