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Chronique

Pierre Gaudreau* coordonnateur du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM)
Anne Bonnefont* organisatrice communautaire au RAPSIM

Le 27 février 2016 marque le 2e anniversaire de l’adoption de la Politique nationale de lutte contre l’itinérance. Une politique gagnée suite à une longue lutte par le mouvement communautaire et largement saluée à sa sortie pour sa vision, son approche globale et la reconnaissance de droits à assumer. Cela sera cependant un triste anniversaire. Alors que cette politique était prometteuse, son déploiement se vit dans un contexte de coupes et de réformes qui, non seulement n’ont pas réduit l’itinérance, mais au contraire contribuent à son développement.

Lors de son dévoilement, la ministre responsable de cette politique, Véronique Hivon, affirmait la volonté gouvernementale d’en finir avec «la tolérance de l’inacceptable qui nourrit cette idée commode qu’il y aura toujours des personnes en situation d’itinérance».

Pour prévenir et réduire l’itinérance, cette politique identifie la nécessité d’agir dans cinq axes majeurs: le logement, la santé et les services sociaux, le revenu, l’éducation et l’insertion, la cohabitation et la judiciarisation.

« Ensemble pour éviter la rue et en sortir », se nomme cette politique toujours à-propos et signée de la main de 10 ministres interpellés par des actions nécessaires. « Ensemble pour faire que davantage de personnes se retrouvent à la rue » semble être cependant la stratégie du gouvernement Couillard et de ses différents ministères.

La situation dans la rue
Les constats sont unanimes, l’itinérance est en croissance. Mercredi le 17 février dernier à Montréal, les refuges destinés aux hommes sans abri atteignaient un taux d’occupation de 109%. De leur côté, les refuges pour femmes avaient un taux d’occupation de 102%1.
Les visages de l’itinérance sont toujours aussi nombreux dans le centre-ville, mais ils se diversifient, avec une présence marquante des Autochtones. Le phénomène est aussi de plus en plus noté dans Hochelaga, où des ressources, refuges et halte-chaleur ont dû être développés, et moins visible mais bien réel sur le Plateau, dans Côte-des-Neiges, dans le Sud-ouest et même dans l’Ouest de l’Ile. L’itinérance y fait l’objet de mobilisation des acteurs pour que des réponses soient apportées dans ces quartiers.

Des actions contraires incessantes de la part du gouvernement
En décembre 2014, dix mois après l’adoption de la Politique en itinérance, le gouvernement Couillard annonçait l’adoption d’un Plan d’action interministériel en itinérance 2015-20120. L’adoption de ce plan, se situant dans l’esprit de la politique, fut saluée, mais l’insuffisance des moyens qui y étaient annoncés fut fortement décriée.
Il fut aussi dès lors souligné les menaces que la politique d’austérité faisaient peser sur les actions à mener pour contrer l’itinérance au niveau de la santé, du revenu, de l’éducation et du logement. La dernière année a montré que ces craintes étaient plus que fondées.

Au niveau de la pauvreté, le gouvernement a réduit l’accès aux programmes de réinsertion, en particulier pour les personnes les plus éloignées de l’emploi, dont les personnes itinérantes. En mars 2013, 3872 personnes bénéficiaient ainsi du programme PAAS Action, contre seulement 2767 aujourd’hui.

Le règlement adopté à l’aide sociale réduisant les prestations des personnes se retrouvant en centre de traitement des dépendances a grandement diminué l’accès à ces centres, contribuant à fragiliser ce réseau qui constitue pourtant une des interventions reconnues par la Politique en itinérance.

Avec son projet de loi 70 et son approche de workfare, le gouvernement menace de couper les prestations de ceux qui ne pourront s’y insérer. La Politique en itinérance, elle, identifie le besoin de hausser les prestations des personnes seules, dont le 623 $ par mois ne suffit pas à se sortir de la rue ou à l’éviter.

En matière de santé, la réorganisation du réseau, qui est responsable tant nationalement que régionalement du déploiement de la politique, a grandement retardé les travaux. Les actions identifiées dans la politique, en santé mentale ainsi qu’au niveau du soutien communautaire sont par ailleurs loin d’avoir l’appui adéquat.

C’est en logement social que l’action contraire à la Politique en itinérance est la pire, avec la réduction de 3000 à 1500 du nombre de nouvelles unités du programme AccèsLogis, ce pour tout le Québec. Pour Montréal, la part du dernier budget Leitao destinée à de nouveaux logements pour sans-abri est de seulement 55 logements, soit même pas la moitié du nombre d’hommes qui font la file tous les jours pour trouver refuge à la Maison du Père. De plus, tout en ayant réduit le budget de construction par unité, le gouvernement menace maintenant la survie d’AccèsLogis qui a pourtant fait ses preuves comme moyen de lutter contre la pauvreté et l’itinérance.

Les coupes en éducation ont aussi un impact important. Ainsi, le soutien aux élèves en difficulté est une des actions identifiées par la politique qui trouve une portée réduite, malgré des grands besoins. Le faible secondaire 3, qui constitue le niveau de scolarité de bien des personnes se retrouvant dans les ressources en itinérance, risque fort de perdurer.

D’autres ministères sont également loin de mener les actions nécessaires pour la prévention et la réduction de l’itinérance. Au niveau des services correctionnels, la priorité à la sécurité est loin de favoriser la réinsertion tout comme la fermeture de la prison pour femmes de Tanguay à Montréal, pour son déménagement à Laval.

En finir avec l’austérité
Alors même que la semaine dernière les chiffres compilés par la Ville de Montréal démontraient un débordement des ressources en itinérance, les données du ministère des finances annonçaient un surplus de 1,8 milliards $ pour l’exercice en cours. Ce surplus annoncé s’est constitué sur le dos de larges pans de la population, incluant, et faisant croître leur nombre, des personnes en situation ou à risque d’itinérance.

Il est essentiel que le gouvernement du Québec change son approche budgétaire, investisse de façon globale dans les programmes sociaux, en éducation et de façon spécifique dans les actions nécessaires en itinérance, et ce dans tous les ministères concernés.
Le gouvernement doit aussi s’assurer que le leadership dans le déploiement de la politique, qui incombe au ministère de la santé et des services sociaux, soit assumé solidement, pour que tous les ministères soient questionnés quant à leurs actions concernant l’itinérance.

Dans la lutte à l’itinérance, comme face à d’autres enjeux sociaux, la baguette magique n’existe pas. La Politique nationale de lutte contre l’itinérance n’aura pas à date fait reculer le phénomène. Sa pertinence et son effet de levier demeurent et il est impératif qu’elle apporte des changements comme d’autres politiques l’ont fait. Ainsi, la Politique d’intervention en matière de violence conjugale adoptée en 1995, n’a pas éliminé le problème, mais elle l’a nommé, reconnu et entrainé des actions qui ont changé le paradigme, de problème domestique à un problème de société. Cela reste à faire en itinérance.

*Les auteurEs ont été membres du Comité consultatif du gouvernement du Québec menant à l’adoption de la Politique nationale de lutte contre l’itinérance.

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