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Communiqué

À partir de novembre prochain, une partie du Carré Viger (surtout l’îlot Daudelin) sera fermée jusqu’au printemps 2017 pour être complètement réaménagée en vue du 375e anniversaire de Montréal. Le projet s’inscrit dans le contexte du recouvrement de l’autoroute Ville-Marie et de l’arrivée massive de nombreux employés avec le nouveau CHUM et son centre de recherche, dont plusieurs y passent déjà leur heure de lunch. Le défi d’intégrer ou de démolir l’œuvre de Charles Daudelin qui y est présente interpelle aussi les milieux de l’art public.

Devant de tels enjeux urbains, notamment en termes économiques, de circulation et de patrimoine, l’itinérance semble réduite à bien peu de choses. Pourtant, c’est probablement elle qui caractérise le plus ce lieu depuis de nombreuses années. Elle constitue un enjeu de taille, qui interpelle tant nos autorités municipales que l’ensemble des citoyens de Montréal que nous sommes. Qu’en est-il du phénomène et que verrons-nous sur les deux clichés représentant, côte-à-côte, le Viger d’avant et le Viger d’après ?

L’histoire du Square Viger

La réalité de l’itinérance est présente au Square Viger depuis un moment déjà, au-delà du parc victorien qu’il a été au 19esiècle, faisant alors la fierté de la bourgeoisie montréalaise. Jadis, les plus pauvres qui débarquaient des bateaux au port s’y installaient pour la nuit, ne pouvant se payer une chambre d’hôtel de l’actuel Vieux Montréal. Au début du 20esiècle, le refuge Meurling, installé juste à côté, témoignait déjà de la présence de ressources venant en aide aux sans-abri. Il y a une quinzaine d’année, de jeunes punks, comme le cinéaste Roach Denis, se souviennent des soirées d’été qu’ils y ont passé après une journée de travail. Aujourd’hui, encore deux à trois douzaines, tout au plus, installent le contenu de leur baluchon, profitent des abris qui leur sont offerts par Daudelin, souvent sans savoir que ces auvents salvateurs constituent une part de l’œuvre de l’artiste.

En somme, de tout temps, le Square Viger a été, à différents niveaux, un lieu où s’exercent une tolérance relative à l’égard des personnes marginalisées, un rempart contre le profilage social. Il y a une douzaine d’années, il devenait l’un des rares lieux publics à ne pas faire l’objet de la piètre gestion du partage de l’espace public de l’administration municipale. On panse encore aujourd’hui les plaies des approches de tolérance zéro, de la fermeture des espaces publics et de l’obsession du déplacement des personnes vulnérables réalisé à coups de milliers de contraventions remises par les policiers. Certes bien souvent considéré comme non sécuritaire et « mal aimé » par le citoyen ordinaire, le Square Viger a pourtant été le lieu transitoire de bien des espérances au même titre que la source de bien des désarrois.

Vers des conditions gagnantes

Certains lieux publics fréquentés par les personnes itinérantes ont fait l’objet de transformations et de projets de réaménagement urbain dans les dernières années. On a pu observer la transformation progressive du Parc Émilie-Gamelin (le Carré Berri, pour les nostalgiques). Dans l’ouest du centre-ville, le Square Cabot rouvre ce mois-ci après un an de travaux, lui aussi avec son lot d’enjeux d’espace public. Pour le Square Viger, les décisions sont prises, et un matin de novembre 2015, ce sont les clôtures et les ouvriers qui s’y installeront. Devant l’inévitable, comment s’assurer d’un bon partage de l’espace public et de la meilleure inclusion possible des personnes susceptibles de le fréquenter ?

Forte d’un Plan d’action en itinérance 2014-2017 ambitieux et doté d’une vision globale du phénomène, l’administration Coderre fait preuve d’une intéressante ouverture d’esprit. On ne s’attendrait pas à moins d’une Ville qui développe autant de projets urbains venant brusquer le quotidien des personnes fréquentant de tels lieux sur une base régulière. Néanmoins, la Ville se veut inclusive et elle le démontre. Elle a mis en place un comité composé d’acteurs de différents horizons qui est chargé de s’assurer qu’avant, pendant comme après les travaux, les interventions, l’animation et l’inclusion des personnes vulnérables soient au cœur de la transformation du square. Une intensification des interventions sociales qui y sont menées, un meilleur canal de communication entre les acteurs concernés et des efforts de préparation de la fermeture, notamment par la recherche d’alternatives pour les « dormeurs », sont envisagés jusqu’en novembre. On semble aussi ouvert aux propositions pour ce qui s’y passera au moment de la réouverture.

Quel après ?

S’il convient de saluer ces efforts et engagements de la Ville de Montréal, il n’en demeure pas moins que les enjeux qui se présentent seront à l’image de la complexité du phénomène de l’itinérance. En prévision de la fermeture, il faudra que les citoyens montréalais, travailleurs du CHUM et des alentours soient invités à faire preuve de tolérance et de compréhension devant les inévitables déplacements qui auront lieu dans les deux prochaines années. Il faudrait même envisager d’identifier un lieu ou une zone de tolérance informelle si on souhaite procéder avec inclusion et dans le respect de la situation des personnes.

C’est au moment de sa réouverture au printemps 2017 qu’on pourra voir se confirmer l’inclusion réelle des personnes itinérantes. Est-ce qu’on tolérera à nouveau que des « dormeurs » y retrouvent une place ? Est-ce qu’on fera preuve d’un devoir de mémoire pour que les badauds et les touristes qui y passent soient conscients du lieu dans lequel ils se trouvent et ce qu’il a été historiquement ? Peut-on le faire au point de le rebaptiser « Square de l’inclusion » ? Il faudra aussi offrir des services et des activités visant à animer le lieu qui tiennent compte de tout le monde. Trop souvent, on a assisté à une réappropriation par les citoyens de lieux qui ont davantage eu pour effet de chasser les personnes itinérantes que de concevoir des activités à la fois pour les uns, les autres et les deux conjointement, tenant ainsi compte des différents aspects et défis de la cohabitation.

En somme, l’ouverture d’esprit semble actuellement au rendez-vous, et c’est pour cette raison qu’il vaut la peine, tout en restant bien vigilant, de laisser la chance au coureur, en espérant que s’étendent la tolérance et la curiosité à l’égard de l’autre. Sans lunettes roses, et même avec une certaine dose de scepticisme, travaillons ensemble afin qu’à tous égards, en avant scène comme en toile de fond, la photo d’« après » soit meilleure que celle d’« avant ».

Bernard St-Jacques, organisateur communautaire au RAPSIM

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